Octobre Rose #3 : « Il faut vivre son cancer du sein sans contrainte »

Delphine Gremy habite dans le nord de l’Yonne. Elle est chef d’entreprise dans le bâtiment, maman de cinq enfants, conseillère départementale, enseignante vacataire, bonne vivante. Son agenda déborde, elle vit à 100 à l’heure. Chacune de ses journées, qui se termine vers 22 heures, ressemble à un marathon. Jusqu’au jour où…

En 2019, son médecin lui confirme le diagnostic : cancer du sein. Un an plus tôt, Delphine, ancienne grande sportive, a subi une opération de chirurgie bariatrique pour se défaire de l’obésité. Alors qu’elle commençait à s’occuper d’elle, c’est le coup de massue. « Ma première réaction a été l’incrédulité. Je me sentais invulnérable et intouchable. Ensuite, ce sentiment a laissé place à la colère parce que je ne comprenais pas. Je sortais de mon opération bariatrique. Pour moi, c’était une renaissance. Après l’obésité, je retrouvais une vie pleine de vitalité, de sport, une énergie assez forte… J’étais en très bonne santé et je ne me sentais évidemment pas malade. Je me demandais : qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Il m’a fallu un mois pour faire la paix avec cette colère, arriver sereine à l’opération… et passer en mode combattante. »

Il fallait que je me batte contre

L’accompagnement psychologique entamé par Delphine pour son intervention bariatrique lui permet d’avancer plus vite dans sa réflexion sur cette nouvelle étape à franchir. « Pendant des années, je ne m’étais pas beaucoup écoutée. Là, je commençais à m’occuper de moi, à lâcher prise, et finalement, ce cancer, je l’ai pris comme un signe du destin. Il devait être là, il fallait qu’il sorte, et c’était mieux maintenant que plus tard. Il fallait que je me batte contre. »

Delphine suit ses séances de chimiothérapie à Sens puis celles de rayons à l’ICB, à Auxerre.

Sur les recommandations de son oncologue, elle ne change rien à ses habitudes. Continue de travailler, de sortir avec ses amis, mais se met à marcher une heure par jour, un temps pour elle. Elle en fait finalement toujours autant, mais différemment. « Je crois que je ne me suis pas arrêtée plus de deux demi-journées, deux siestes à des moments où vraiment je n’en pouvais plus. »

Pour Delphine, cela « fait partie du cheminement. Plus on reste à se regarder malade, plus on est malade. Je ne voulais pas passer mon temps à ça, ni que mes enfants me regardent malade. J’ai continué ma vie comme si de rien n’était. Tous les matins à 7 heures, je démarrais mon entreprise, j’ai poursuivi mon mandat, mes associations. Je ne dis pas que c’était facile, j’avais des grands moments de fatigue, de lassitude, mais les médecines douces m’ont aidée à supporter tout ça. Tout comme le fait de marcher tous les jours me permettait de rester maître de mon corps et des effets secondaires. Cela m’a demandé une discipline de fer, mais cela m’a permis de vivre tout à fait normalement cette année de cancer si ce n’est que mon agenda était rythmé par mes rendez-vous médicaux. J’imagine que tout le monde ne peut pas forcément le faire. J’ai continué le psy, la sophrologie, et tout un panel de médecines douces et de suivis thérapeutiques pour accompagner le suivi médical. L’accompagnement joue beaucoup », affirme Delphine qui se revendique cartésienne et insiste : tout ce qui peut être fait en parallèle du suivi médical « ne soigne pas, mais les professionnels de santé disent que cela soulage et accompagne les douleurs. Cela ne m’a pas guérie, mais cela m’a aidée à moins souffrir des effets secondaires et à garder la pêche physique et morale. »

« Choquée de voir des femmes cacher leur cancer »

Car les effets secondaires ont bien entendu fait leur apparition. Ni nausées, ni vomissements ou autres troubles intestinaux liés à la chimiothérapie, mais perte des cheveux, de la pilosité, des ongles, fourmis dans les membres, perte de sensibilité, de la préhension, des fantômes dans les membres toute la nuit. « Moi qui ne suis pas du genre à me manucurer, je me suis mise à le faire pour cacher la misère. Les cheveux, j’avais préparé en amont, choisi des turbans. J’ai joué vraiment sur l’effet de mode, j’en changeais tous les jours. J’avais anticipé ça pour moi et pour mes enfants, pour rester un peu maître du jeu et moins subir ces changements. »

Tout au long de son parcours médical, Delphine écrit aussi beaucoup, partage sur Facebook tous ces désagréments, poste des photos, relate son combat au quotidien, sans jamais se plaindre. Elle reçoit de nombreux messages d’encouragements et d’admiration. Elle vit sa maladie sans tabou, sans honte, au grand jour. Ne cache rien. « J’ai été choquée de voir toutes ces femmes qui cachaient leur cancer, vivaient dans le secret, même avec honte pour certaine ; effarée de voir qu’à notre époque, des femmes ne pouvaient pas assumer vis-à-vis de leur boulot, de leur mari. Il faut vivre le cancer en étant totalement libérée pour pouvoir tout lâcher. On ne peut pas s’infliger, en plus de la souffrance physique, une souffrance morale. La maladie est l’occasion de rejeter loin de soi tout ce qui est pression de la société, de ses proches, des amis qui n’ont finalement pas leur place. Il faut le vivre sans contrainte car l’effort physique est tellement intense que si on n’a pas le moral adapté, ça ne passe pas. »

« J’ai appris à dire non »

Deux ans après la fin de ses traitements et alors que les derniers effets secondaires ont totalement disparu depuis cet été, Delphine dresse le bilan. « Il y a eu une Delphine avant le cancer et une Delphine après et je ne veux pas redevenir celle d’avant. Je suis quelqu’un d’autre et celle que j’aime aujourd’hui. J’ai encore plein de défaut, mais en tout cas, je suis beaucoup plus sereine, plus épanouie. »

Elle a aussi appris à travailler autrement, à sélectionner. « Cela a été efficace, mon bilan comptable était bon alors que je pensais qu’il serait mauvais ! Avant, j’étais une bête de travail et je n’envisageais pas de faire autrement. Aujourd’hui, je prends du temps pour moi. J’ai des projets, des challenges, bientôt le GR20, après, ce sera le Mont-Blanc, je me suis fait un programme sur 4-5 ans, et je n’y déroge pas. Ça c’est nouveau. C’est depuis le cancer, car je me suis dit que tout ce que j’ai envie de faire, il fallait que je le fasse. Donc je programme et je ne déroge plus, alors qu’avant, je programmais et j’annulais. Si je veux partir en week-end ou en vacances avec mon mari, mes enfants, je pars. Ce que je ne faisais jamais. Aujourd’hui, j’ai appris à dire non. »

« Il faut vivre son cancer du sein sans contrainte »