Petite histoire de la radiophysique

Lors de leur traitement de radiothérapie à l’Institut de Cancérologie de Bourgogne (ICB), les patients rencontrent leurs médecins, les équipes de manipulateurs(trices) en électroradiologie médicale, les coordonnateurs(trices) des soins supports, les secrétaires… Mais pas forcément les acteurs du service de physique médicale : les dosimétristes et les physiciens médicaux.

Pourtant, le rôle de ces derniers est capital. Quand les dosimétristes calculent les doses de rayons ionisants nécessaires au traitement des tumeurs, les physiciens, eux, étalonnent les faisceaux de rayons ionisants émis par les machines de traitement, assurent la sécurité des patients et des personnels par un contrôle régulier des machines et des faisceaux, gèrent les contrôles qualité des machines et œuvrent à l’amélioration de leur performance.

Au sein de l’ICB, huit physiciens se répartissent sur les sites de Dijon, Auxerre et Chalon. En décembre 2021, José Isturiz, l’un des physiciens de Dijon a fait valoir ses droits à la retraite après une carrière débutée au début des années 1970. Une très longue expérience et un regard sur l’évolution du métier de radiophysicien qui, malgré la discrétion viscérale de José Isturiz, méritait bien un petit récit.

« Au début, tout était à inventer »

Car aujourd’hui, toutes les procédures de contrôle et de vérification sont rédigées, bordées par des protocoles stricts. Les calculs s’opèrent à l’aide d’ordinateurs et de logiciels toujours plus performants. Les tumeurs sont ciblées au millimètre près. Mais aux balbutiements de la radiothérapie… on était loin de tout ça. L’imagerie médicale (scanners, IRM…) n’existait pas. Les ordinateurs et même les calculatrices non plus d’ailleurs. « Les calculs se faisaient avec des règles à calculer très précises, mais sans calculatrice, donc très lentement. On a utilisé la première calculatrice mécanique au début des années 1970. Et elle ne faisait que les multiplications ! », se souvient José Isturiz. Toutes les mesures s’opéraient avec « des instruments à lampe, énormes, sur roulettes, qui avaient la taille d’un petit frigo… Hier, tout se faisait à la main sur papier calque, aujourd’hui on travaille avec des super-ordinateurs 3D, 4D… Tout est miniaturisé à l’image de nos smartphones ! Au cours de ma carrière, j’ai changé plusieurs fois de métier. Au début, tout était à inventer et j’ai bien profité de cette période ! »

C’est grâce à lui que l’ICB, à l’époque, le Centre de radiothérapie du Parc, est parmi les premiers au monde à entrer dans l’ère du numérique, au début des années 1980. Car le jeune physicien dijonnais, également féru d’informatique, est à l’origine du premier système de dosimétrie externe et curiethérapie sur PC, accessible à la radiothérapie privée. Son système a parcouru la planète : des Philippines au Mexique en passant par l’Ile Maurice, le Vietnam, le Venezuela, le Maroc, l’Algérie et bien entendu, la France. Une soixantaine de services de radiothérapie ont fonctionné avec son logiciel.

Du cobalt à l’accélérateur de particules

Plus tard, il a également développé un découpeur de caches. Pour faire simple, pour que les rayons ciblent la tumeur et épargnent l’environnement proche et sain, il fallait réaliser un cache en Cerrobend (un alliage qui, comme le plomb, bloque le passage des rayons). Ce cache était réalisé à l’aide d’un moule en polystyrène coupé par un fil chauffant, piloté par ordinateur, et dans lequel le Cerrobend liquide à basse température était coulé. Il était ensuite posé à la sortie du faisceau. Faisceau qui prenait donc la forme de la tumeur dès sa sortie de la machine de traitement (appareil de cobalthérapie ou accélérateurs de particules d’ancienne génération). Désormais, pour obtenir cet effet, les machines sont équipées de collimateurs multi-lames qui se paramètrent via un logiciel de calcul de doses.

José a également connu le cobalt, comme source d’irradiation, alors qu’aujourd’hui, les traitements sont réalisés avec des accélérateurs de particules. Il n’y a plus de sources radioactives. Quand la machine de traitement est coupée, plus aucune radiation n’est émise. Ce qui n’était pas le cas avec le cobalt, auquel les équipes devaient aussi s’adapter, car plus la source vieillissait, plus le traitement devait durer pour compenser la décroissance de la source radioactive. « Aujourd’hui, c’est sûr, on fait moins appel à notre imagination, on devient dépendant de la modernité », regrettait presque le physicien à l’âme d’inventeur, à la veille de son départ. « Mais il faut reconnaître que c’est plus sécurisant. Il y a moins de risques d’erreurs et moins d’effets secondaires pour nos patients. »